8

La salle du commissariat réservée aux interrogatoires évoquait plutôt un cagibi. Une pile de vieux ordinateurs penchait dangereusement dans un des coins de la pièce. Le commissariat venait de mettre à jour son équipement informatique pour la première fois depuis sept ans, et personne ne voulait plus des anciens modèles. Un carton de documents déchiquetés attendait contre un mur qu’on veuille bien s’en débarrasser. Deux boîtes en plastique remplies de fournitures de bureau occupaient un autre angle. Au centre se tenait une vieille table en bois, défigurée par des traces circulaires de gobelets plastiques et de cannettes en aluminium.

Heather Farrell, la jeune femme qui avait trouvé le cadavre de Pete, regardait Claudia Salazar d’un air buté. Le commissaire Delford Spires était assis à côté d’elle. Il ne dirait sans doute pas grand-chose, laissant Claudia mener à bien l’interrogatoire. Celle-ci remarqua affectueusement qu’il avait une miette de gâteau collée à la moustache, mais elle préféra ne pas le mentionner, puisqu’ils étaient enregistrés. Delford venait juste d’annoncer à la sénatrice le décès de son fils.

Claudia se tourna vers le témoin.

« Ça ne devrait pas être long, Heather. Avez-vous en votre possession une quelconque pièce d’identité ? »

Heather Farrell extirpa de son jean sale un permis de conduire déchiré. Il n’était plus valide. Claudia prit note de la date de naissance : Heather avait eu dix-huit ans quinze jours plus tôt. L’adresse révélait qu’elle venait de Lubbock, à l’ouest du Texas, à des centaines de kilomètres de Port Léo. Claudia lut à haute voix ces informations pour qu’elles figurent sur l’enregistrement, puis rendit à Heather la carte plastifiée. Au lieu de la ranger, celle-ci s’en servit pour gratter la crasse sous ses ongles.

« Votre famille habite toujours Lubbock, Heather ? demanda Claudia.

— Ouais.

— Pourquoi êtes-vous partie ?

— Trop de poussière.

— C’est une très bonne raison, dit Claudia en souriant. Y en a-t-il d’autres ?

— Je suis artiste. Il y a beaucoup d’artistes dans le coin. J’étais persuadée que les galeries se battraient pour exposer mon travail. Ce n’est pas le cas pour l’instant.

— Vous n’avez pas renouvelé votre permis de conduire, dit Delford.

— Je n’ai pas souvent l’occasion de conduire ces temps-ci. Vous avez un truc qui pend à la moustache. »

Delford se passa un doigt dans la moustache. La miette disparut. Elle ne choquerait plus personne.

« Merci, Heather.

— Où logez-vous en ce moment, Heather ? » demanda Claudia.

La jeune femme haussa lentement, paresseusement les épaules. Une sorte d’obstination méfiante – due à la stupidité ou à une profonde lassitude – fronçait constamment son visage.

« Ça dépend. Il m’arrive de camper dans le parc derrière la plage de Little Mischief.

— Vous avez un permis pour camper ? »

Heather remua sur sa chaise. Claudia devinait déjà la réponse.

« Je l’ai perdu hier. Je ne suis pas encore tombée sur un gentil gardien qui veuille bien m’en donner un nouveau. »

Claudia indiqua de la tête le sac à dos posé dans un coin de la pièce.

« Tout ce que vous possédez se trouve là-dedans ?

— Ouais. Je n’aime pas voyager trop chargée.

— Et donc vous aviez toutes vos affaires sur vous quand vous êtes allée voir ce type sur son bateau…

— Faut croire, dit Heather, la voix entièrement dépourvue d’énergie.

— Vous comptiez emménager avec lui ?

— Non. Je ne me sépare pas de mes affaires, c’est tout.

— Il vous avait dit son nom ?

— Ouais. Pete Majors. Il m’a raconté qu’il venait de Los Angeles. »

Claudia avala une gorgée du chocolat tiédasse que l’agent Fox avait bien voulu lui apporter. Majors, et non Hubble. Big Pete Majors, son nom de scène tel qu’il apparaissait sur la jaquette des vidéos trouvées dans le bateau. Claudia remarqua le mince filet de sueur sur le front de Delford, malgré la fraîcheur de la pièce.

« Monsieur Majors vous a-t-il confié la raison de sa venue à Port Léo ? demanda Claudia.

— Il écrivait le scénario d’un film sur la mort de son frère. Mais ça lui causait beaucoup de tristesse. Je crois que c’est pour ça qu’il s’est tué.

— Où aviez-vous rencontré monsieur Majors ?

— À Little Mischief. »

Claudia écrivit quelques mots sur son bloc-notes. Little Mischief était une plage mal entretenue au nord de Port Léo, à quelques kilomètres de la marina du Golden Gulf. Les jeunes l’appréciaient beaucoup, ainsi que le petit parc attenant où poussaient chênes et lauriers sauvages. Un bon endroit pour se peloter, même si la région en comptait de meilleurs.

Heather passa les doigts dans sa chevelure.

« La lumière est belle à Little Mischief. J’aime bien faire des croquis des oiseaux, des vagues, des personnes âgées qui marchent le long du rivage…

— Les toxicos adorent Little Mischief, interrompit Delford. Est-ce que je risque de trouver quelque chose dans votre sac à dos, mademoiselle ?

— Non, dit-elle en roulant les yeux. Je ne touche pas à la drogue.

— Qu’est-ce que Pete faisait à Little Mischief ? demanda Claudia pour avancer.

— Il venait avec son ordinateur portable, pour écrire, ou juste pour se relaxer en lançant des cailloux dans les vagues. »

Elle s’essuya les lèvres du revers de la main.

« Il ne parlait pas trop mais il était gentil. Il m’a filé du fric pour que je puisse manger.

— Cet argent, dit Claudia en écrivant, il vous l’a donné sans contrepartie ? »

Le visage de Heather se durcit.

« Bien sûr que oui. Vous me prenez pour quoi ? »

La question était plutôt de savoir pour quoi l’avait prise Pete Hubble…

Claudia ne se pressa pas pour répondre. Les secondes passaient, et Heather se mit à remuer sur sa chaise.

« Je ne suis pas une pute, d’accord ? Il essayait de m’aider, c’est tout… Peut-être qu’il s’en fichait de l’argent, parce qu’il savait qu’il allait se foutre en l’air.

— Et donc il vous a fait un don. Ensuite, que s’est-il passé entre vous ? »

Heather Farrell avala les dernières gorgées de son chocolat puis se mit à arracher de petites bandelettes de son gobelet en polystyrène. Ses doigts se tachèrent de gouttes chocolatées et poudreuses, mais elle n’y prêtait pas attention.

« Rien, il ne s’est rien passé. Il était très triste et très seul. Comme si on venait de lui apprendre une mauvaise nouvelle.

— À quel moment vous a-t-il invitée sur son bateau ?

— Il m’a dit qu’il avait besoin de parler. Qu’il se demandait s’il fallait continuer à vivre.

— Il vous connaissait à peine, et pourtant il vous a confié qu’il songeait au suicide ? s’étonna Claudia.

— Parfois c’est plus facile de parler à un inconnu qu’à un ami.

— Sans doute. Et d’où venait cette terrible tristesse ?

— Son frère… Pete m’a dit que tout était lié à son frère. J’ai compris qu’il était mort jeune. Et Pete m’a parlé d’un pasteur qui avait trompé son frère. Un certain… Jones, je ne me souviens plus du prénom. Je crois qu’il pensait que ce Jones était peut-être responsable de la mort de son frère. »

Heather leva les yeux vers Delford. Celui-ci intervint :

« Il avait des preuves ?

— Non. Il se plaignait qu’il lui en manquait pour convaincre un jury. »

Heather fixait Delford avec de grands yeux, comme un enfant qui espère l’approbation d’un parent.

« Il faut que vous soyez plus précise, insista Claudia. Qu’est-ce qu’il a dit exactement sur la relation entre son frère et ce pasteur ?

— Putain, je n’ai pas pensé à enregistrer notre conversation, et il n’était pas particulièrement clair dans ses propos ! Je vous ai dit tout ce que je sais. »

Claudia laissa à nouveau le silence s’installer. Puis elle se mit à tapoter avec son stylo contre le bloc-notes.

« Il n’a jamais suggéré que vous veniez sur son bateau pour y tourner un film porno ? »

Heather ricana.

« Non ! Je ne fais pas le tapin. Je suis ici depuis un mois et je n’ai pas eu le moindre problème avec la police.

— Comment vous êtes-vous rendue à la marina ?

— On m’a prise en stop depuis Little Mischief et on m’a déposée au centre-ville. Je suis arrivée à la marina un peu après vingt-deux heures. »

Elle déchira une nouvelle bandelette de son gobelet et en fit des confettis.

« J’ai trouvé son bateau – le grand, tout au bout du quai – et je suis montée à bord. J’ai crié son nom, mais personne ne répondait. La porte était ouverte. J’ai descendu l’escalier. »

Sa gorge se nouait petit à petit.

« Il n’y avait personne dans le salon, alors j’ai frappé à la porte de la chambre.

— Elle était fermée ?

— Ouais. J’ai appelé Pete, j’ai poussé la porte. Je l’ai vu sur le lit, tout de suite, avec du sang sur le visage. »

Elle se tut. Même pour une fille si jeune, le caractère implacable de la mort était soudain tangible.

« Je crois que j’ai hurlé. J’ai sûrement hurlé. Je me suis enfuie, comme si le bateau était en feu. J’ai couru le long du quai en criant, et des gens sont sortis.

— Avez-vous remarqué quelqu’un de suspect aux alentours du bateau ou de la marina ? demanda Delford.

— Non. »

Heather contempla ses doigts, surprise d’y voir des taches de chocolat. Claudia tira un mouchoir en papier de la boîte et le lui tendit. Heather s’essuya lentement les doigts.

« Je me faisais tellement de souci au sujet de Pete, parce qu’il était si déprimé, qu’en arrivant au bateau je n’ai pas regardé autour de moi. »

Delford hocha gravement la tête.

« Tu joues les filles secourables mais j’ai du mal à t’imaginer chez les scouts, ma petite », pensa Claudia.

« Vous portez une culotte ? demanda-t-elle brutalement à Heather.

— Pardon ?

— J’aimerais savoir si vous portez une culotte, là, maintenant, sur vous.

— Pourquoi ?

— Peu importe. Répondez-moi, s’il vous plaît.

— Ouais, je porte une culotte. Vous pensez que je me promène sans sous-vêtements ?

— Montrez-la-moi, s’il vous plaît. Baissez juste un peu votre jean pour que je puisse voir. Commissaire, si vous pouviez sortir une minute…»

Delford se tourna vers Claudia. Les choses prenaient un drôle de tour.

« Il peut rester, je m’en fous. »

Heather se leva et tira sur son jean. Elle ne portait pas de ceinture et il glissa facilement de quelques centimètres, assez pour que Claudia puisse voir le haut d’une culotte unie, blanche mais crasseuse.

Claudia la remercia. Heather remonta son jean et se rassit.

« Laissez-moi deviner. Vous avez trouvé une culotte sur le bateau et vous vouliez vérifier que ce n’était pas la mienne. Elle appartenait sûrement à sa petite amie…

— Vous saviez qu’il avait une amie ? lui demanda Delford.

— Il a parlé d’une femme qui vivait sur le bateau avec lui. Mais j’ai l’impression qu’il en avait marre d’elle. Il a dit qu’elle s’était fait un paquet de fric sur son dos, et qu’il en avait assez.

— Heather, nous allons vous demander de rester en ville jusqu’à la fin de notre enquête, dit Claudia.

— Hein ? Je suis assignée à résidence ? demanda-t-elle les yeux écarquillés.

— Non, mais ne quittez pas Port Léo. »

Heather recula sur sa chaise.

« J’arrête là. Si vous voulez me poser d’autres questions, j’y répondrai en présence d’un avocat commis d’office, comme à la télé.

— Plus que deux petites questions, la rassura Claudia. Vous êtes une femme et vous campez en solitaire. Vous avez un pistolet ? »

Heather gratta un coin de la table avec un ongle sale.

« Non. J’ai une bombe lacrymo, et si je donne un coup de pied à un mec, ses couilles vont lui remonter jusqu’à la gorge.

— D’accord. Et cette jeune femme, vous l’avez déjà croisée ? Peut-être du côté de Little Mischief ? »

Claudia tira de son bloc-notes une affichette qu’elle fit glisser jusqu’à Heather. Delford observait, impassible.

« Marcy Ann Ballew », lut Heather.

Elle plissait les yeux, comme si elle cherchait quelque chose dans les traits de Marcy, peut-être un vestige d’elle-même.

« Désolée. Je ne la connais pas.

— Où logez-vous ce soir ? » demanda Delford.

Heather hésita, déconcertée.

« Au parc, sans doute, répondit-elle.

— Après ce que vous avez vu, il n’est peut-être pas conseillé de passer une nuit seule, dehors, dans l’obscurité, dit Claudia d’un ton adouci. Vous pouvez dormir ici.

— Génial, une nuit en cellule. Merci bien, mais ça ira.

— Vous seriez au chaud dans un endroit propre. La porte resterait ouverte… Et le gars en poste la nuit est très mignon, ajouta Claudia en souriant.

— Pas question que je dorme en prison.

— Alors laissez-moi vous diriger vers les services sociaux. Ils vous trouveront un lieu d’accueil.

— Vous voulez qu’on me surveille, hein ?

— Oui, pour être sûr que vous allez bien.

— Ce n’est pas nécessaire, dit Heather en se levant. On a fini ? Faut que j’y aille. »

Comme si elle avait une course à faire, alors qu’il était presque minuit.

Claudia éteignit le magnétophone.

« Je vais faire taper notre entretien, il ne vous restera plus qu’à signer.

— Je peux revenir signer demain ? Je suis crevée, là…

— Pas de problème.

— Merci d’avoir répondu à nos questions, dit Delford en se levant lui aussi. Et comme vous l’a demandé l’inspectrice Salazar, ne quittez pas la ville. Il est possible qu’une enquête judiciaire soit ouverte, auquel cas vous pourriez être appelée à témoigner au tribunal.

— Je ne bouge pas de Port Léo, promis. À plus. »

Elle attrapa son sac à dos et s’empressa de quitter la pièce.

Delford Spires ferma la porte derrière elle.

« Et après ça on viendra me dire que les cours de maintien ne servent à rien !

— Elle le connaît à peine, ils ont eu une vague conversation, et pourtant elle semble absolument sûre qu’il s’est suicidé. À cause de ce qui est arrivé à son frère, il y a des années de ça…

— Je me suis occupé de l’affaire Corey Hubble, dit Delford en se rasseyant. Une histoire tragique. Une disparition brutale, incompréhensible. Sans une seule trace, sans une piste. Cette histoire avec le pasteur, je me demande de quoi il s’agit. Corey n’avait rien d’un cul-bénit – c’était plutôt un vrai petit diable. »

Claudia mentionna la cassette qu’avait trouvée Whit, où Pete parlait de Jabez Jones.

« À l’époque, Jabez Jones était un gamin, lui aussi, dit Delford en secouant la tête, et il n’y avait aucune raison de le soupçonner. De toute façon, on n’a jamais rien trouvé qui puisse laisser penser à un crime. Corey s’est tiré et il n’est jamais revenu, un point c’est tout.

— Mais Pete voyait les choses autrement. Je crois que je vais discuter avec Jabez Jones. »

Delford soupira et se laissa glisser sur sa chaise. Claudia l’aimait beaucoup, comme on apprécie un oncle un peu vieux jeu.

« Comment les Hubble ont-ils réagi ? demanda-t-elle.

— Ils sont anéantis. Ils avaient cru que Pete allait peut-être revenir dans le droit chemin, après des années d’égarement. Lucinda est une femme incroyablement solide, mais là, c’est peut-être trop, même pour elle. J’ai pris leurs dépositions préliminaires. »

Claudia ressentit une légère irritation. Delford lui avait confié l’enquête, c’était à elle de recueillir la déposition des proches. Même si en l’espèce il était peut-être mieux à même de le faire qu’elle.

« Savent-ils que Pete jouait dans des films pornos ?

— Mon Dieu, non. En tout cas elle ne m’a rien dit. Comment est-ce qu’un fils peut faire ça à sa mère ?

— Elle lui a peut-être fait du mal, elle aussi.

— Sûrement pas. Lucinda a tout donné à Pete. S’il a tout envoyé chier, ce n’est sûrement pas de sa faute à elle. »

Il poussa un long soupir, se leva et regarda Claudia d’un air bienveillant mais soucieux.

« Cette affaire n’est pas trop lourde pour toi ?

— Bien sûr que non. »

Elle étiqueta la cassette où figurait la déposition de Heather et la glissa dans un dossier à soufflet.

« Et avec David, comment vont les choses ?

— Elles vont, Delford, dit-elle en refermant le dossier.

— Tu ne portes plus ton alliance ? »

Claudia frotta le pouce de sa main gauche contre son annulaire : un mince cercle de peau pâle, là où peu de temps avant un anneau indiquait un amour supposé éternel.

« Le divorce a été prononcé hier. Je lui ai posté l’alliance.

— Cela ne doit pas être facile pour toi en ce moment, Claudia. Peut-être que Gardner pourrait prendre cette enquête en charge.

— Pas de raison. Je te remercie, ça me touche que tu t’inquiètes pour moi, mais travailler me fait le plus grand bien. »

Delford se racla la gorge.

« Holà ! Je sens les bons conseils arriver, lui dit Claudia avec un demi-sourire.

— Je pense qu’on a affaire à un suicide.

— Ni Whit ni le médecin légiste n’ont encore rendu leur verdict.

— Même avec trois lampes torches, Whit Mosley ne serait pas fichu de retrouver son cul dans le noir. Une fois les élections passées, il retournera vendre des glaces sur la plage.

— Ou bien il reprendra la peinture en bâtiment.

— Ça ne me fait pas rire, Claudia. »

Il n’avait pas apprécié la référence à un épisode légendaire de l’histoire de Port Léo : quinze ans auparavant, Whit et ses cinq frères avaient peint en rose la maison de Delford. Un rose électrique, couleur de papier toilette fluorescent. Véritable prouesse, il ne leur avait fallu que quatre heures – le temps que Delford avait passé à un match de football. Il n’avait pas du tout goûté la plaisanterie. Même après que les frères Mosley eurent repeint sa maison dans son blanc d’origine, Delford avait continué à les considérer comme des terroristes psychopathes. Les autres habitants de la ville avaient ri sous cape en faisant semblant de s’indigner de la conduite de ces fous de Mosley.

« C’est du passé, Delford. Tu devrais oublier tout ça. »

Claudia, elle, appréciait Whit Mosley. Enfant, il était copain avec son frère Jimmy. Ils péchaient, capturaient les grenouilles, nageaient ensemble dans la baie. Véritable garçon manqué, Claudia les suivait partout, et avec Whit elle avait toujours été la bienvenue. On lisait de la gentillesse dans ses yeux, gris comme la baie les jours où les nuages couvraient le ciel. Et travailler avec lui ne causait jamais aucun souci. La juge de paix précédente – qu’elle repose en paix – vomissait chaque fois qu’elle se retrouvait sur les lieux d’un crime et Claudia s’était sentie obligée de suivre des cours de macramé et de patchwork avec elle. Whit avait la délicatesse de garder pour lui ses repas et ses hobbies.

« J’ai un problème avec Whit Mosley, point final. Il ne fait pas de différence entre tribunal et fête foraine. Quant à Pete, je dis simplement que ça a tout l’air d’un suicide. C’est ce que je sens en tout cas.

— Tu vas vite en besogne.

— Quand j’ai appris à Lucinda que Pete était mort, la première chose qu’elle m’a demandée, c’est s’il s’agissait d’un suicide. Elle m’a raconté en détail les problèmes psychologiques dont il a souffert au cours de ces dernières années. Tout figure dans sa déposition.

— Elle en savait long sur ses troubles mentaux, mais elle ignorait qu’il faisait du porno ?

— Hum… Peut-être bien qu’elle savait. Mais je peux comprendre qu’elle ne souhaite pas en parler.

— Velvet, l’amie de Pete, jure qu’il ne se serait jamais suicidé.

— Justement, au sujet des amis de Pete Hubble… Le bateau qu’il occupait, Real Shame, est immatriculé à Houston, avec pour propriétaire un dénommé Tommy Deloache. Son surnom là-bas, c’est Tommy le Louche. On le soupçonne d’être mêlé au trafic de drogue et au blanchiment d’argent.

— Et en quoi le fait que Pete côtoie des criminels vient appuyer ta théorie du suicide ?

— D’après la police de Houston, si les Deloache voulaient se débarrasser de Pete, il serait quelque part au fond du golfe, coincé entre deux blocs de béton. Ils font ça proprement, sans laisser de trace.

— Je te tiens au courant, dit Claudia en se levant.

— Claudia, ne te braque pas. Je te demande juste de respecter la souffrance d’une mère. Elle a en plus une élection à gagner dans moins d’un mois, et cette affaire pourrait tout faire basculer.

— Tu ne penses pas que l’électorat la soutiendrait davantage si c’était un meurtre que si c’était un suicide ? demanda Claudia sans ambages. Un suicide, ça donne à penser qu’elle a peut-être mal fait son boulot de mère.

— Bon sang, Claudia, je dis seulement que je sens au fond de mon ventre, qui est beaucoup plus gros et beaucoup plus vieux que le tien, que Pete s’est suicidé. Si tu suis une mauvaise piste et que tu humilies la sénatrice en exposant toutes ces histoires qui n’ont rien à voir avec quoi que ce soit – la carrière porno de Pete ou l’histoire de son frère par exemple –, personne ne te le pardonnera. L’affaire est explosive, merde ! »

Il poussa brutalement sa chaise contre la table.

« Eh bien, Delford, si tu n’as pas confiance en moi, retire-moi cette enquête.

— J’essaie juste de t’aider. C’est ton enquête. Ne fous pas tout en l’air. »

Claudia hocha la tête et quitta la pièce. Elle se retourna pour regarder la porte que Delford venait de claquer derrière elle.

 

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